"8 HEURES" : Magny-les-Hameaux / Yvelines - France
Qu'est-il possible de voir, qui est-il possible de rencontrer en marchant en ligne droite, 8 heures durant, sans jamais revenir sur ses pas, dans et autour d'un village de moins de cent habitants situé à la lisière du Parc régional de la
Haute vallée de Chevreuse.
8 HEURES
Magny-les-Hameaux, jeudi 22 novembre 2012
Magny-les-Hameaux, jeudi 22 novembre 2012
8h30
Balance ancienne accrochée à l'arbre du
jardin. En visée, l'école Albert Samain : les souvenirs d'enfance, les odeurs
de craie, les billes roulant dans le sable à chaque récréation, les cris dans
la cour, le sifflet du maître, la rentrée dans la classe en rang par deux. Descente
vers la vallée de la Mérantaise, Florence et son chien s'occupant de ses
chevaux avant d'aller travailler ; Claude, marcheur aux allures de Jean
Rochefort, élégant dans la brume matinale. La saison d'automne est bien
avancée: elle a quitté le principal du manteau de feuilles à la
forêt, les arbres qui dévoilent leur squelette élancé, les troncs renversés par
des anciennes tempêtes ou par la main de l'homme, gouttes d'eau en équilibre
sur tout ce qui peut encore les porter, couleurs denses et vives sous l'effet
de la rosée matinale...
Retour vers le
bourg. Rencontre fortuite avec Jacky au milieu des poules: ami de famille
depuis toujours. Allez savoir pourquoi, parler avec lui me rappelle souvent une histoire de chien que
nous contait le garde champêtre qui vivait un peu plus haut dans la rue. Le
chien s'appelait "Pépette", ou plutôt la chienne, basse, poils raz et
noirs, regard à la hauteur des pattes: "savez-vous pourquoi le chien remue
la queue"? nous questionnait le garde champêtre chaque fois qu'il nous
croisait. "Et bien c'est parce que la queue ne peut pas remuer le
chien"... Avec son uniforme, c'est à peu près le seul souvenir qui me
reste du garde champêtre.
Madame Pénicaud sur le pas de sa porte, la grille fermée de
la maison de Madame Chase. Je me souviens de son fils courant à travers le
village à la poursuite de ses chats, tapant sur une gamelle avec une fourchette
ou une paire de ciseaux pour les attirer et puis la fille, Noémie, qui venait
souvent prendre le goûter à la maison après la classe.
L'église et le cimetière, la chouette dans son clocher, les tombes
fleuries aux marbres colorés, d’autres plus loin, plus anciennes, quelque fois
délabrées sur lesquelles le temps et la nature imposent leurs stigmates qui confèrent une personnalité particulière et attachante, la stèle
dédiée à Albert Samain, souvenir du poème "le marché" que nous récitait notre
père:
"Sur la petite place, au lever de l'aurore,
Le marché rit joyeux, bruyant, multicolore,
Pêle-mêle étalant sur ses tréteaux boiteux
Ses fromages, ses fruits, son miel, ses paniers d'oeufs,
Et, sur la dalle où coule une eau toujours nouvelle,
Ses poissons d'argent clair, qu'une âpre odeur révèle.
Mylène, sa petite Alidé par la main,
Dans la foule se fraie avec peine un chemin,
S'attarde à chaque étal, va, vient, revient, s'arrête,
Aux appels trop pressants parfois tourne la tête,
Soupèse quelque fruit, marchande les primeurs
Ou s'éloigne au milieu d'insolentes clameurs.
L'enfant la suit, heureuse ; elle adore la foule,
Les cris, les grognements, le vent frais, l'eau qui coule,
L'auberge au seuil bruyant, les petits ânes gris,
Et le pavé jonché partout de verts débris.
Mylène a fait son choix de fruits et de légumes ;
Elle ajoute un canard vivant aux belles plumes !
Alidé bat des mains, quand, pour la contenter,
La mère donne enfin son panier à porter.
La charge fait plier son bras, mais déjà fière,
L'enfant part sans rien dire et se cambre en arrière,
Pendant que le canard, discordant prisonnier,
Crie et passe un bec jaune aux treilles du panier."
Le marché rit joyeux, bruyant, multicolore,
Pêle-mêle étalant sur ses tréteaux boiteux
Ses fromages, ses fruits, son miel, ses paniers d'oeufs,
Et, sur la dalle où coule une eau toujours nouvelle,
Ses poissons d'argent clair, qu'une âpre odeur révèle.
Mylène, sa petite Alidé par la main,
Dans la foule se fraie avec peine un chemin,
S'attarde à chaque étal, va, vient, revient, s'arrête,
Aux appels trop pressants parfois tourne la tête,
Soupèse quelque fruit, marchande les primeurs
Ou s'éloigne au milieu d'insolentes clameurs.
L'enfant la suit, heureuse ; elle adore la foule,
Les cris, les grognements, le vent frais, l'eau qui coule,
L'auberge au seuil bruyant, les petits ânes gris,
Et le pavé jonché partout de verts débris.
Mylène a fait son choix de fruits et de légumes ;
Elle ajoute un canard vivant aux belles plumes !
Alidé bat des mains, quand, pour la contenter,
La mère donne enfin son panier à porter.
La charge fait plier son bras, mais déjà fière,
L'enfant part sans rien dire et se cambre en arrière,
Pendant que le canard, discordant prisonnier,
Crie et passe un bec jaune aux treilles du panier."
Retour vers la forêt, pour aller sur l'autre versant de la vallée.
La clairière, lieu des fêtes d'anniversaire au grand air, des batailles de
guerriers de papier et de carton, des cabanes dans les arbres, des miles
aventures rocambolesques et des souliers pleins de boue. L'ancienne
carrière de pierres, les figures énigmatiques, les formes inquiétantes, les
jeux d'apesanteur aux allures de constellations entre toiles d'araignées et petits bouts de pierre, les champigons à la robe blanche fraîchement sortis de dessous des feuilles rousses, les graffitis
taillés dans la roche ou peints sur les murs du bâtiment en ruines, des détritus par-ci, par-lá, ponctuation de la civilisation dans le phrasé de la nature : lorsqu'il
s'installe quelque part, l'homme affirme toujours sa présence par deux actes
fondateurs: sa signature et ses poubelles. À peu de distance, la mousse pousse
à la verticale depuis le bas des tiges des arbustes, le tapis de feuilles
jaunes crée un contraste saisissant avec les champignons rouge plantés en demi
cercle dans la branche ; le domaine de Voisins, son jardin bien ordonné qui
contraste avec le désordre environnant, ses statues romantiques et sa piscine
ancienne en ciment qui, fut un des premiers travaux utilisant le béton, au
début du XXème siècle, peut-être fabriqué par Perret lui-même. Le cadavre d'une
bouteille de champagne indique qu'ici on s'est amusé et que l'homme a de nouveau
ponctué sa présence par une de ses signatures favorites...
Retour sur la route pour atteindre le majestueux cèdre du Liban, patriarche
parmi les patriarches, meurtri par la grande tempête de 1991 mais non vaincu.
On dit qu'il connût Louis XIV: on en trouve d'identiques dans le Château de
Versailles qui auraient été plantés au même moment. Il est le géant qui
garde et qui ouvre l'entrée de la vallée de la Mérantaise. Sa seule vue force
le respect. Passage obligé vers les terres fertiles où les prairies accueillent
de nombreux chevaux, sangliers, chevreuils, faisans et même un héron ; le
domaine de Henri Farman, pionnier français de l'aviation qui, en 1908, aux
manettes d'un avion Voisin, réalisa le premier vol inter-ville entre Bouy et
Reims ; son terrain d'atterrissage fait de terre et d'herbes est conservé
intact entre deux rangées d'arbres ; les chênes, autres colosses solitaires, dont l'automne déjà bien avancé n'a pas encore pu venir à bout de leur crinière fauve...
Le potager de la Reine, les épouvantails faits de bric et de broc, les
légumes aux allures de trophées, les avions en bouts de cageots et de
boites de conserves pour rappeler que Hélène Boucher, autre pionnière de
l'aviation, s'écrasa à deux portées d'ailes d'ici, sur la colline d'en face.
Jean-Marie, bricoleur de génie, ingénieur des choses de la nature,
charpentier, mécanicien, chasseur patient et précis, se prépare pour un atelier de
vannerie "100% écologique et durable", utilisant les roseaux de la
vallée comme matière première. Gestes savants et précis dirigés par une
simplicité et une sympathie déconcertantes: l'art de la construction manuelle
est en marche...
16h30
retour au point de départ: jacky se chauffe au coin du feu...
Epilogue
Vendredi après-midi sur le parking, Jean-Marie enseigne son triomphe: comme
toujours, les explications se terminent dans un bon verre de vin blanc, le dos
face à la cheminée ...
Ici vécut
aussi un homme qui, durant de nombreuses années, embrassa la nature comme
d'autres embrassèrent la mer ou la montagne.
Il se fondait tellement parfaitement en
elle que lorsqu'il s'approchait des animaux pour les observer, ceux-ci ne
l'entendaient pas arriver,
à Jacques, à notre père.
Reportage associé: Conte de Noêl - Le Potager de la Reine / 2011
http://pascalhanrion.blogspot.com.es/2011/12/conte-de-noel-le-potager-de-la-reine.html
Pour en savoir plus sur la Vallée de la Mérantaise:
http://www.parc-naturel-chevreuse.fr/index.php?id=593&plan=14
http://www.ville-villierslebacle.fr/spip.php?article728
http://www.martinpierre.fr/pages/randonnees-d-un-jour/ile-de-france-vallee-de-chevreuse-vallee-de-la-merantaise.html
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