En terres catalanes - janvier 2020


En terre catalane

janvier 2020



Prologue

Trois semaines de quasi grève générale, des dizaines de milliers de kilomètres de bouchons, des heures d'attente pour monter dans une rame de RER, la plus grande partie des lignes de métro fermées: elle, dans le pur style des années 70, à la façon de Mireille Darc dans "Le grand blond avec une chaussure noire", exténuée au milieu des sacs de farine factices, dans l'attente d'un hypothétique embarquement (aéroport Orly, Paris, 3 janvier)

Madame sapiens-sapiens, épuisée, récupère quelques forces dans une caverne moderne avant de voler à nouveau vers un avenir incertain.



Catalogne, Barcelone puis le village de Bruc dans la montagne de Montserrat.

Amitié, cette étrange sensation de les retrouver, Quim, Jordi, Wind, Oriol, comme si nous nous étions quittés la veille, alors que nous ne nous sommes pas vus depuis un an.








Sant Jeroni, le bar des escaladeurs aux pieds de la face sud de la montagne aux formes fantasmagoriques, oú les histoires et les exploits se content en approchant les mains du feu de cheminée.













Escalade dans la province de Berga, au plus profond des terres de Catalogne.  Une bande de joyeux gamins qui s'accrochent à la roche sous le regard avide des vautours n'attendant qu'une chute pour se jeter sur un repas providentiel: mais un catalan ne se laisse pas si facilement défaire...














Dans une douce chaleur boisée, rythmée par une entraînante musique de fête, la cabane du "trappeur Mati", compagnon d'escalade de jeunesse dont les quelques souvenirs des temps glorieux trônent à côté du poêle, sur le banc ancestral où jadis prit place chaque jour une famille devant la cheminée de la ferme.

Le feu dans le foyer: compagnon permanent de sapiens depuis la nuit des temps.





Sant-Llorenç, murs verticaux de roches agglomérées, arrondis au dessus des escaliers faits de racines à ciel ouvert : au dessus, les corbeau criards et vantards.

Ici comme à Berga, sapien-sapiens cherche l'élévation, la découverte de nouvelles sensations, le surpassement de lui-même: il ne sait pas nécessairement pourquoi, mais il va de l'avant dans un élan irrésistible.















Des dessins et des couleurs sur les murs de la ville de Sabadell: autant de traces artistiques que de cris de revendications. L'art préhistorique réalisé sur des murs des cavernes, et qui a toujours accompagné l'homme dans sa modernité, est toujours bien ancré dans son expression quotidienne, tout autour de son foyer même si son environnement prend aujourd'hui une forme bien différente de celle des ancêtres.


"L'amour est la force qui meut tout"


"Qui serais-tu si tu n'avais pas peur?", et quelqu'un de rajouter "ta mère".






"retour des exilés (politiques)"



" Ave dedans - rien à l'intérieur"





Josep-Maria, autre ami de toujours, pas vu depuis quatre ans. La simplicité de retrouvailles chaleureuses avant quelques achats "pédagogiques"entre Grand Papa et le petit fils Marcel, dans un marché de Barcelone: le poissonnier, le seul et l'unique à qui le chef cuisinier fait confiance. Une rencontre impromptue, un photographe en devenir déjà attentif...

Sapiens dans une de ses fonctions essentielles: l'enseignement et la transmission du savoir.








au petit matin, un message dans la cuisine:
"Pau, n'oublies pas les chats". Tiens, tiens, avec un grand couteau de cuisine?

Le jeune sapiens devrait-il partir en chasse?



Barcelone, la mondialisation propage le spectre et le cauchemar des superproductions américaines sur tous les murs des cités d'occident: "la guerre des étoiles", comme le portrait de papa Bush sur le paillasson de certains hôtels du Moyen-Orient, à la sortie du métro, on peut marcher dessus.



Capitale incontestée et incontestable du design, sorte d'Altamira contemporaine, Barcelone étale sur ses murs une autre guerre, plus discrète, moins présomptueuse, mais particulièrement efficace et créative
(quartier autour du Centre d'art contemporain). 


"détruisons le capitalisme et sa civilisation, pour en terminer avec la dévastation: ACTION DIRECTE / CAPITALISME = CHANGEMENT CLIMATIQUE" ; "Il y a une autre manière de vivre."



"Espoir - la diversité est espoir"


"Pour la fin des tortures et des mortes en prison - A TERRE LES MURS"


" Réfléchit (en) ce que tu es et commence à croire en ce qui est magic"








"Tous ensemble, nous pouvons arrêter le SIDA", Keith Haring, 1989





"Planète rebelle"


"L'art comme réponse ; récupération des arbres de Noël jusqu'au 17 janvier",

à deux pas, sous la façade resplendissante du Musée d'art contemporain, l’insouciance bondissante sur planches à roulettes. 



un lit vertical: seules des chauves-souris pourraient se mettre sous sa couette, ou bien les rêves d'un dormeur sans apesanteur,


des songes graphiques directs et  percutants: ce sont des messages brefs, visuels, sans prétention artistique majeure mais avec une infinie créativité et un style à la "Charlie" fortement prononcé: "Charlie" tu n'es pas oublié!












 148 forme d'événements futurs
71042 amortisation du présent
519 7148 tout est possible
889 je matérialise
81 puissance activée



"le petit dictateur t'aime" (sur hamburger Nord américain)





Plaza de Catalunya, une vieille femme donne à manger aux mouettes, devant un parterre de touristes caméra au poing.


Dans le métro: "Al-leluia: ce Noël tu recommenceras à croire en l'orgasme."
Amantis, boutique érotique.


quelqu'un y a ajouté une touche toute personnelle, à la fois comique et poétique (enfin presque)


Consternation !
Vendredi 10 janvier, le Tribunal Suprême espagnol refuse d'appliquer l'immunité diplômatique confirmée par le Parlement Européen aux Eurodéputés catalans, prisonniers politiques incarcéré ou en exil depuis des mois (Carles Puigdemont, Toni Comin et Oriol Junqueras) 



"Le Tribunal suprême rejette toute option à Junqueras d'être Eurodéputé"


"Le Tribunal suprême ferme la porte du Parlement européen à Junqueras"
(quotidien Lavanguardia, vendredi 10 janvier)


La contestation populaire catalane pour l'obtention d'un référendum officiel pour l'autonomie de la Catalogne perdure depuis des années: elle colore une infinité de balcons dans toutes les villes de son territoire et suscite des campagnes massives de protestation
(Sabadell et quartier de Gracia à Barcelone).


  "Liberté et république"

"Nous sommes nés pour vaincre"



"Liberté pour les prisonniers politiques"


"Indépendance pour tout changer"


"Liberté pour les prisonniers politiques"



(Démocratie")


La censure se glisse partout: même le graf' de ce personnage hirsute est bâillonné par le scotch censé tenir la porte de cette armoire électrique...




Sous toutes sortes de formes d'expression graphique, les descendants des arts pariétaux ont depuis bien longtemps envahi les murs de la cité catalane, tout comme ceux de toutes les villes du monde. Ils représentent certainement une des constantes majeures de la tradition artistique de Sapiens dont ni son éloignement de la nature, ni son attrait pour le développement urbain à outrance n'ont pu effacer les traces dans sa mémoire et dans ses gènes. 



L'art du feu - traditions païennes


Matadepera, gros bourg aux pieds de la montagne Sant Lorrenç. La fête  de la nature et des arbres passe par un rassemblement annuel autour de la descente à dos d'hommes d'un immense pin depuis les pentes de la montagne jusqu'au centre du village, où il sera dressé puis fera l'objet d'un concours d'escalade où tous les athlètes de la région viendront se mesurer.

Acte 1: les villageois cheminent sur les pentes montagneuses

avec des torches qu'ils jettent ensuite sur des immenses masses de branches de pins: des amas mesurant 5 à 6m de hauteur.

Un brasier rassembleur qui brûlera toute la nuit.







Temps 2: un concert en fin de soirée,

sous une tente improvisée où il fait bon manger, sinon se goinfrer de sandwichs aux saucisses locales, les "butifarras", arrosées de rasades de bières sinon locales, pour le moins abondantes et débordantes.

Sur la scène, le groupe "Sappis" dont le leader, une jeune musicienne guitariste/bassiste porte leurs compositions du haut de sa voix puissante et engagées. Elle fait penser à Patti Smith des débuts, dans les années 70 à New York: le fantôme de "Because de night" résonne sous le chapiteau.

















Acte 3: la ville de Terrassa,

à quelques kilomètres de Matadepera est le sanctuaire espagnol et, étonnamment, peut-être un des grands sanctuaires européens du Hockey: ses équipes dament régulièrement le pion aux meilleures équipes nord américaines et nord européennes ; elle possède plusieurs champions olympiques.

Pendant que les bûchers mettent en cendres une partie des bois morts de coteaux, et que "Patti" brise le silence de la nuit par ses décibels rageurs, un tournois de Hockey crée une myriade de gouttes de sueur grelottante au cœur de la nuit glaciale mais satisfaite.





En parlant de Terrassa, la Masia Freixa, splendeur de l'architecture moderniste catalane, construite par l'architecte Lluis Muncunill i Parellada en 1896: bâtiment d'inspiration  industrielle, ses courbes subtiles et régulières resplendissent sous la douce luminosité du ciel catalan.










Acte 4 : d'autres feux sont allumés dans la montagne.

On y monte chaudement habillé, avec tout ce qu'il faut pour y dîner de grillages de saucisses Butiffara et de viandes, le tout accompagné par le "pantumacat", des grosses tranches de pain grillé sur le feu, aillé, huilé, sur lesquelles on rappe de la tomate à jus et qu'on saupoudre de sel.. 

On mange face au feu, le ventre brûlant et le dos gelé par l'air glacial de la forêt: les enfants se réchauffent les mains avant de redescendre dans la vallée.















































Acte 5: descente du pin sur la place de Matadepera,

à dos d'hommes et de femmes pour la première fois. Cette tradition ancienne est risquée et dangereuse: le pin, pesant plus d'une tonne, peu se renverser s'il est mal manipulé ou mal porté. Il est demandé aux porteurs de la force et de la résistance, une grande coordination. Tous les 200m environ, le tronc est posé au sol pour que les porteurs puissent se reposer et inter-changer leurs places. On compte entre 80 à 100 porteurs et porteuses: chaque dépose du tronc est le prétexte à une explosion de joie, les porteurs se sautent littéralement dans les bras les uns les autres.  Pour étancher leur soif, ils boivent une sorte de "potion magique", un breuvage alcoolisé doux mais traître: la tête commence à tourner dès les premières prises mais cela fait partie du jeu et de la tradition.

Malgré l’apparent chaos et désordre de la descente, au milieu de milliers de spectateurs sur-excités, jamais aucun accident n'a été à déplorer lors du transport, depuis plus de 50 ans aujourd'hui.
















































































Acte 6: la fête, la danse et la musique.

Les porteurs arrivent sur la place centrale du bourg où ils déposent définitivement le tronc qui aura été porté sur plusieurs kilomètres. La foule suiveuse l'envahit à son tour. Alors débute un grand bal au son de la musique traditionnelle catalane puis d'un DJ qui fera danser la place entière jusqu'à l'aube. 

Le plus étonnant est la force collective de la jeunesse qui danse, chante et s'amuse comme un seul homme: pas une bagarre, pas un incident au cours de la nuit malgré les vapeurs d'alcool de plus en plus enivrantes et les regards de moins en moins fixes.

Il y a du "baile de los diablos" du "Tirabol" de "La Patum" ici, dans les veines et dans l'esprit de la jeunesse de Matadepera comme dans celles de Berga.
























































Épilogue

Retour à Paris, avion évidemment en retard, grève des transports en commun (tiens, j'avais oublié...) Le RER nous jette avec 45mn de retard sur un quai inhospitalier pour une hypothétique correspondance : "attention! Ce train est terminus en gare de Massy-Palaiseau, il ne prend plus de voyageurs...", les portes se ferment rapidement puis la rame file comme une voleuse sans butin vers une destination inconnue. Vent glacé, aller se protéger, une petite guérite en verre, un siège, je m'assois et puis c'est le miracle.

Doudou girafe tenue par Sophie. Leur maman Marina les entoure d'un châle gris en laine et des paroles chaleureuses, une chanson douce. Elles sont russes: ce sont les images des enfants et des femmes russes décrites par Svetlana Alexievich qui se pressent en cet instant autour de moi. 

Une humanité à trois branches scellées les unes aux autres.






Tant qu'il y aura une "jeunesse Patum" en Catalogne, un Doudou girafe, une Sophie et une Marina rassemblées comme un seul être, sapien-sapiens pourra encore croire en sapien-sapiens.



J'allais oublier: il m'aura accompagné pendant tout ce voyage, donné un sens profond et beaucoup de distance à tout ce qui aura été vécu et partagé,

avec une pensée émue pour mes "hermanos de corazon", frères de cœur catalans.


à suivre...



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

WHITE HELMET CHAIN of hope and solidarity

WILLY RONIS (France) - Historia de la fotografía

JACQUES HENRI LARTIGUE (France) - Historia de la fotografía

FERIA DE SAN SEBASTIAN EN MATADEPERA: BAJADA DEL PINO